« Ils l’ont relâché, il me suit encore. Si je ne réponds plus, c’est qu’il m’a tuée. » Ces mots, ce sont ceux d’Inès Mecellem, 25 ans, travailleuse sociale à l’École de la Deuxième Chance, victime de violences sexuelles, physiques et psychologiques par son ex-conjoint qui la harcelait et qui l’a tué lundi 8 septembre de 25 coups de couteau. Six plaintes, un téléphone grave danger… pour quoi faire ? Pour que l’agresseur réussisse à passer à l’acte. L’histoire d’Inès est édifiante, consternante, elle nous rappelle que 109 femmes ont été assassinées cette année en France et il nous rappelle l’histoire de Véronique, assassinée en mai à Chasseneuil. Mêmes circonstances avec des plaintes multiples. Pour Véronique, le Téléphone Grave Danger a été refusé et elle n'a pas pu obtenir d'ordonnance de protection. Les plaintes ont même été classées sans suite... Pour Inès, elle avait un TGD. Deux femmes, deux circonstances assez similaires et des mots prononcés ou écrits avant leur assassinat pour dire qu’elles savent qu’elles seront tuées. Souvenez-vous, Véronique savait qu’elle allait mourir, elle avait même préparé son enterrement. Quel État permet cela ? Le nôtre, celui qui se gargarise d’un Grenelle contre les violences en 2018. Déjà à l’époque, le Collectif du 8 mars manifestait pour dénoncer l’effet d’annonce. Tout est déjà dit, les victimes, les travailleuses sociales, les personnels de santé spécialisés, les associations féministes qui accompagnent les victimes de violences masculines, savent ce qu’il faut mettre en place. Des moyens réels, des formations, un système plus fluide entre la Justice et les forces de l’ordre. Les femmes parlent, les victimes parlent, depuis longtemps. Qui les écoute vraiment ?
Les mécanismes sont les mêmes, les alarmes sont les mêmes, les victimes parlent, les féministes dénoncent, qui écoute et agit ? Ou plutôt, quel système permet de protéger les agresseurs et non les victimes ?
Samedi 6 septembre, Inès Mecellem a été harcelée et suivie en centre-ville pendant plusieurs heures par son ex-conjoint. Elle a pu être accueillie par des établissements (Grand magasin et Bubble Tea) qui sont formés dans le cadre du dispositif Angela (mis en place par la Ville de Poitiers) qui permet de protéger les victimes. Malgré des appels avec son TGD, elle a mis du temps à obtenir une réponse. Les forces de l’ordre lui conseillant d’appeler le 17. Dans ce cadre, à quoi sert le TGD ?
Malgré une interpellation et des menaces de morts par écrit, l’agresseur est relâché et continue sa traque. Comment peut-on justifier cela ?
Dans la situation de Véronique, les faits sont semblables, des menaces, des pressions exercées par l’agresseur et pourtant aucune mesure prise à l’encontre de ce dernier. Les femmes victimes sont tétanisées, vivent dans la menace permanente, la terreur, la certitude de mort et pendant ce temps, les hommes violents sont libres de leurs faits et gestes. Quelles société peut tolérer un tel manque ?
À quoi servent tous ces outils juridiques de protection mis en place par l’État si les victimes continuent de vivre dans la terreur ?
C’est dans cette incompréhension et ce système défaillant que nous sommes abattues en tant que féministes, dans une tristesse et une colère immense.
À l’heure actuelle, une autre femme vit la même situation qu’Inès, six plaintes, un TGD et une ordonnance de protection… aucune interpellation n’est mise en place ? Les raisons : la Police ne peut pas interpeller sans que le Parquet l’ordonne. Pendant ce temps-là, en dehors des couloirs sinueux de la bureaucratie, les femmes sont terrorisées avec tous leurs appareils juridiques obsolètes. Fuyant des violences subies pendant plusieurs mois et années, elles sont contraintes de déménager, de sa cacher, de fuir, de ne plus oser sortir, de craindre chez elles, d’être harcelées par des agresseurs qui exercent un contrôle coercitif en jouant au jeu du chat et de la souris avec les TGD, d’être en vigilance permanente et ce au détriment de leur santé mentale. Il faut être sur-humaine pour ne pas sombrer, et pourtant celles qui se savent prochainement mortes, continuent de vivre, de sur-vivre. Jusqu’au moment où tout le système qui leur fait croire qu’il les protège, leur montre à quel point il n’a que faire de leurs vies. Imaginons que le préfet soit victime de violences, nous parions qu’il faudrait une seule plainte pour que l’agresseur soit interpellé et pris en charge pour protéger la victime. C’est ce que doit l’État à ses citoyennes : protéger des violences masculines. Mettre en œuvre les recommandations des professionnel·les du milieu médico-social pour une réelle prise en charge des agresseurs. Ces derniers ont besoin d’être accompagnés, mis hors de danger de nuire à la vie des femmes, intégrés dans des parcours de soins et de responsabilisation. Nous le répétons sans cesse, les études, les enquêtes sur le sujet sont pléthores, les recommandations et livres blancs sont légions et nous, nous continuons de compter nos mortes et de nous morfondre de l’incapacité de réflexivité de la Justice quand elle défaille et ne protège pas.
Pour Sarah Vedel, pour Hadas Izak Hagos, pour Véronique, pour Inès Mecellem, nous ne céderons pas, nous poursuivrons notre lutte pour qu’il n’y en ai plus une de plus.